Gazette 8


Le temps-presse & les écrits lestes

Chronique

1er jour
Un lieu – un milieu
Le temps des retrouvailles, l’équipe se met au travail. Fureter, humer l’air, le paysage, se balader, discuter, palper le papier ou un arbre, se plonger en un livre. Telle une ruche sans reine, l’espace commun s’emplit de bourdonnements et de curieuses danses. Il devient lieu de tous les échanges, nectars & pollens, lettres, poème qu’il soient personnel ou collecte, récits ou bout de livres de nos ancêtres. Vient le moment du choix du papier, comme on choisit un navire, qui transportera l’alléchant amas graphique littéraire.


2e jour
L’aurore des mots
À l’aube, une plaine d’ouate parsemée de dodus pompons vert pinède. Sur le pont une douce frénésie point comme soleil à l’horizon, ocre-magenta-vermillon. Chacun s’active à une tache connue de lui seul.

Le soleil au mitan, voici venu le temps du point. La réunion d’équipage fait le tour des glanages. Il reste quatre jours. Tour de table des articles, des envies.

L’air est chaud, la rumeur des vendanges ne dévie pas le cap, le navire vogue en mer calme, poussé d’une légère brise.


3e jour
Est-ce un voyage ?
Le confinement du voyage soude l’équipée sauvage. Ici un atelier de gravure, en bas les orfèvres débutent leurs assemblages de caractères mobiles en d’énigmatiques ouvrages.

Pour seul avitaillement, textes et illustrations. Nourriture de l’âme, nutriment de l’action. Chaque pérégrination se trouve assemblée en un voyage commun. Le navire toute voile dehors prend l’allure d’une frégate, tranche les flots, l’étrave agite en son sillage de bouillonnantes écumes.


4e jour
Du cœur, à l’ouvrage
Jour et nuit une équipe au travail. Pressage, sérigraphie, composition typographique. Une agitation silencieuse, à la patience gouailleuse. Sur les visages radieux, la fatigue n’imprime pas ses rides.

Que pousse cette équipée à donner corps et âmes au bénévole labeur1 ?

Lorsque les ouvriers […] se réunissent, […] fumer, boire, manger, ne sont plus là à titre de moyen de faire le lien, ni comme moyen de liaison. L’association, la réunion, la conversation […] leur suffisent. La fraternité des hommes n’est pas un vain mot, mais une vérité pour eux. Et la noblesse de l’humanité nous illumine depuis ces figures durcies par le travail.

Premier passage en presse.
En avant ! trois cents passes. Ce paysage, fibre-végétale-tissage, est patiné de signes sages. La coque de papier file à toute allure.


5e jour
Un huit clos, ouvert sur le monde
Dehors les feuilles d’automne se couvrent de messages. Ici, nuit et jour, les presses parent les pages d’un palimpseste2 sauvage.

L’atelier ouvert sur la place du village, accueille sans crier garde de drôles de badauds.

« C’est admirable ce que vous faites là.
– quelle patience !
– je ne savais pas qu’il y avait une presse dans le village…
– mais vous faites quoi là ?
– une gazette, la gazette n° 8
– comme ça gratuitement ?
– Dites, est-ce que nous en aurons une au village ?
– Vous êtes de la poésie à l’état pur… »

Quelques-uns s’improvisent guides du musée vivant. D’autres, peu distraits par le quidam, alternent regards bonhommes et dévotion ultime à l’ouvrage. Ce soir c’est la maquette finale


6e jour
Terre, ah terre !
Sous les yeux, les visages laissent apparaître, à l’envers, de jolies petites parenthèses grasses. Les corps défient le rythme circadien en un balancement précis, attelés à la réalisation de l’œuvre commune ; ils communiquent en sentences goguenardes ; dispensent des signes magnanimes.

La cloche martelée de sept coups trouble le calme vespéral de sa rituelle mélodie. De l’atelier frénétique se répand – sur tout le village – une allègre rumeur.
Les premières Gazettes sortent du creuset alchimique.

Les chants polyphoniques parfument le clocher de tapisseries joviales. Le rhum, l’eau-de-vie et le vin portent un toast à la terre promise.

Seule l’aube, sublime parviendra à endormir le typographique sabbat.

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