Une chaleur dans la paume


Amélie Gagnot

De la chanson française ? Un spectacle vocal ? Du chant a capella ? L’artiste utilise un pédalier-boucleur, ne serait-ce donc pas de la musique répétitive ? Électronique ? Comment caractériser une poétique, un acte de création, quand fleurit dans le paysage musical une écriture à la fois nouvelle et rituelle ?

Trouvez un lieu improbable, une antique grange toute de bois vêtue ; une galerie d’art contemporain au cœur de Marseille ou encore une salle multimodale, perdue dans le Massif Central ; asseyez-vous, détendez-vous, respirez, vous allez assister à un spectacle. Attendez un peu, le noir se fait.

La douceur de cette ondine, dès qu’elle pose ses paumes de pieds nus sur le sol, ancrée, droit devant vous espiègle comme un esprit sorti de la source, à peine l’espace de sa présence habité, vous prend par la main comme on chantonne en chemin, un clair matin.

Des ruisseaux mélodiques s’écoulent, vous saisissent et vous bercent, tapis de mousse, reliefs chatoyants. Voici, en cinq mesures comment le décor se construit. Le tempo bat la mesure, le temps s’arrête.

Ce pourrait être un val doré, tranquille, un joli vallon «déjà entendu», un lieu commun lisse de toutes aspérités, telles de la musique pop ou de la variété. Non ! Toutes les couches musicales, vocales, qui prennent forment devant nos yeux, servent une poésie peinte au couteau. S’offrent à nous paysage mental, tableaux vivants, amours, déchirures de la poète. Pas de tabou. Un récit de la vie, sublimé. L’âme à nue, la réalité crue. Un tissu polyphonique léger, épuré, des mots au ton chaud.

Prenez le temps, recevez ces jeux de langue

En deux ou trois minutes, elle crée une Eau-Forte, comme un sculpteur s’appliquerait à la gravure d’un microsillon. Elle susurre, crie, vocalise, des vers choisis comme on compose un bouquet. Elle touche au cœur. Ce qu’elle chante, c’est le regard d’une auteure posé sur le monde. Ses chansons, entendues une fois ou deux, tournent encore dans la tête, plusieurs jours après les avoir entendus. Des yeux connaisseurs y discerneront les motifs de grands maitres.
Ce qui me touche, c’est l’humilité qu’elle dégage sur scène, presque fragile ; la représentation est donnée sans artifice. Pas de déballage de l’égo. Pas de culte aveugle voué à la surpuissance des machines. Ici tout est au service de la poésie. La force de l’artiste est de toucher du doigt la simplicité, comme Andromède caresse la Voie lactée.

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