(Re) construire ensemble


des liens entre les humains, la ville et le vivant

cARTographier la ville

La Nuit des idées à Sherbrooke a été produite le 21 et 22 avril par le Théâtre des Petites Lanternes et financé par le Consulat de la France du Québec et Patrimoine Canadien dans le cadre de l’initiative mondiale piloté par l’institut Français. Sur deux jours artistes, élu·e·s, citoyenn·e·s et environnementalistes ont travaillé ensemble pour identifier les lieux où il n’y avait ni nature ni art à Sherbrooke.
Le jeudi 21 avril, à l’occasion de la Nuit des Idées, le Centre des arts de la scène Jean-Besré a accueilli une cinquantaine de citoyen·ne·s de Sherbrooke, représentant les quatre arrondissements de la ville : Brompton–Rock Forest-St-Elie-Deauville, Fleurimont, Lennoxville et Les Nations. Le Théâtre des Petites Lanternes (TPL), en partenariat avec le Consulat de la France au Québec, invitait la communauté sherbrookoise à cARTographier la ville. Kristelle Holliday, la directrice générale et codirectrice artistique du TPL, avait invité Simon Durocher-Gosselin comme artiste principal de l’événement. Une vingtaine d’artistes de plusieurs disciplines différentes (art visuel, poésie, danse, théâtre…) ont été engagés pour répondre à la question : comment le territoire est occupé ? Leur mission était de mettre en lumière (en couleur, en son, en mots, en mouvement) les dynamiques présentes dans des lieux dépourvus d’art ou de nature. « Pourquoi la nature ? Parce qu’elle est source d’inspiration ! » nous a confié Simon, interrogé sur ce qu’il retenait de cette Nuit des idées.

Mélanger les artistes, les élu·e·s et les citoyen·ne·s


À notre arrivée, les invités se sont vus confier une petite carte papier de leur arrondissement. Le but était d’identifier à l’aide de crayons en rouge les places en manque d’art et en vert les secteurs où l’on aurait souhaité plus de nature. En début de soirée, les citoyens étaient mélangés aux artistes, aux élues sans considération pour leur arrondissement. Une fois les cartes consciencieusement complétées, elles ont été remises à notre géomaticien en chef de la soirée, Maxime Thériault.
La soirée s’est déroulée en quatre étapes.

Les exposés


Après un discours fort enthousiaste où Évelyne Beaudin se demandait « si la beauté rendait heureux », Kristelle et Simon, nos maîtres de cérémonie, invitent les conférencières, Carolane Arsenault et Gabrielle Rondeau-Leclaire de Rêve Nourricier à présenter un état des lieux des défis environnementaux qui nous attendent. La présentation est accompagnée d’exemples, de par le monde, de projets architecturaux ou d’aménagement de territoire qui répondent de manières innovantes aux défis climatiques dans une démarche écologique. Elles proposent des pistes d’action pour une collectivité viable, comme la création de noyaux de verdure (réservoirs de biodiversité) ou une ceinture verte qui servirait de zone tampon, pour faire face à la fragmentation des habitats naturels et favoriser la biodiversité.
Après un tour des questions, c’est au tour de Maxime Thériault de Territoires de montrer (à l’aide de cartes notamment) comment le territoire est occupé par l’humain, qui a l’image du castor est une « espèce ingénieur ». L’idée était de montrer la relation entre l’individu et son territoire. En tant que « biologiste du territoire » il travaille sur la protection, la conservation des milieux naturels. De son point de vue « il y a des endroits où l’on a le goût de marcher et ce n’est pas par hasard, c’est grâce à un mélange d’art et de nature » que l’on aime se promener.

Les promenades dérives

La compagnie KMK, invitée pour l’occasion, prend le relais des exposés. Elle nous propose de fermer les yeux et de se remémorer la marche que l’on prend, quand on souhaite prendre l’air autour de chez soi. Nous devions ensuite dessiner sur une feuille blanche, le chemin parcouru (dans notre tête) et identifier deux lieux : un endroit qui nous fait du bien (une cascade, un boisé) et un endroit qui nous irrite. Au terme de cette balade imaginaire, nous avons placé nos croquis sur une maquette de la ville faite de fils de laine, de draps et de légendes en carton. Ainsi, s’est dessinée sous nos pieds une carte sensible de la ville.

Restitutions des résultats

Pendant que KMK proposait son atelier, Maxime a produit, en un temps record, une condensation des données collectées en début de soirée pour produire deux cartes et les projeter dans un second temps sur un mur de la salle. Notre ville est apparue à l’image des cartes de températures en périodes de canicule. Par un jeu de couleurs, Maxime met en évidence, d’un côté les « trous » de nature, de l’autre les « trous » d’art. « La carte en elle-même influence les résultats, ce qu’on met sur une carte influence la perception que l’on a du territoire, se rappelle Maxime. Il y a des quartiers où ressort clairement un manque de nature. » Ce travail de cartographie a permis de distinguer également le manque réel et le manque perçu. « Par exemple, si une zone est identifiée comme manquant d’art et que pourtant il y en a, ça veut dire que l’art n’y est pas assez visible ou pas assez accessible, poursuit-il. »

Les cartes participatives


Enfin, les participant·e·s se sont réuni·e·s par arrondissements pour tracer sur de grandes cartes papier des propositions d’aménagement urbain : en rouge pour combler un déficit de culture et en vert pour pallier un manque de nature. Chaque groupe a ensuite présenté au reste de l’assemblée, le fruit de cet atelier. On a pu constater à quel point le monde était captivé par son travail de cARTographies. Pour Maxime, l’intérêt de cette soirée a été d’« impliquer le citoyen en lui demandant, comment aménager la ville ? Qui de mieux placer que les gens qui habitent la ville pour déterminer de son aménagement ? C’est leur chez eux. On peut mesurer ainsi, leur niveau de bonheur, leur niveau d’intérêt à rester là, ou à s’installer ici. La qualité de vie est directement liée à la présence de milieux d’intérêts. »

Pour conclure cette première soirée, les artistes ont été répartis, par tirage au sort par les habitants de la ville, en quatre groupes (un pour chaque grand arrondissement de Sherbrooke). À partir de ce brassage d’idées, les artistes devaient s’inspirer des propositions mises sur la table pour que le lendemain, ils réalisent une performance dans chaque quartier.

Le vendredi 22 avril, les artistes invité·e·s sont parti·e·s à l’aventure pour une séance de recherche, de création et d’improvisation basée sur les trouvailles de la veille.

Habiter et jouer dans des espaces délaissés d’art et de nature


Les artistes avaient pour consigne de repousser les limites de l’action individuelle en créant une œuvre collective plus grande que soit. S’inspirant des diagnostics posés la première soirée, les interventions créatrices ont revêtu plusieurs formes.
Lors de la restitution de ces œuvres collectives le deuxième soir, nous avons pu voir en photo des acrobaties sur le boulevard Bourque, puis une performance dans un parc désert, consistant à relier, par des fils de laine, les arbres qui l’habitent. Le premier groupe (composé de Cyril Assathiany, Frédéric Gosselin, Simon Durocher-Gosselin ) a réalisé des cartes postales pour les envoyés aux passants croisés en chemin, dans le désir de créer des liens entre les habitants de Brompton et de Rock Forest.

Enfin, le dernier groupe (Élise Legrand, Matthew Gaines), suivi de l’élue Laure Letarte-Lavoie, a réalisé un court-métrage lumineux avec un bel effet de contraste. La prise de vue débute avec les artistes de dos scrutant un ancien dépotoir municipal, apportant un peu de beauté à cet endroit à la marge de la ville. La vidéo se termine à l’intérieur d’une ancienne cage à ours au parc Victoria, transformée pour l’occasion en carrousel. Les artistes s’animent en une danse langoureuse, au son de l’accordéon et du violon, sous le regard placide de petits animaux en peluche, disposés à la manière d’un public de cirque.
L’accent a été mis sur le processus créatif plus que sur le résultat. Portée par la volonté d’allumer des étincelles et de donner ainsi l’espoir d’un changement possible, les performances ont créé de nouvelles rencontres, entre les collaborateurs habituels des Petites Lanternes et d’autres artistes présents dans le Répertoire culturel de Sherbrooke. Que ce soit par l’art visuel, la poésie, le clown, la danse, la musique, l’idée était de « prendre au territoire » et aussi de redonner, de créer des liens avec les lieux. « On est tellement dépendant de notre milieu. On exploite la nature comme si c’était gratuit. Mais, qu’est-ce que lui redonne en retour ? » rappelle Simon.

Nous avons assisté ensuite par un témoignage vidéo à la mise en scène, à la manière d’un rituel, d’une performance sensible de clowns aux portes de l’arrondissement de Lennoxville avec le deuxième groupe (Zoé Hockhoussen, Geneviève Kiliko, Sarah Bisha Touchette, Mélina Lapointe). Les actrices ont posé telles des statues drapées, puis ont réalisé une sculpture vivante au bord d’un rond-point, sous le regard bienveillant de Guillaume Lirette-Gélinas, le Conseiller d’arrondissement.

Le troisième groupe (Angèle Séguin, Alberto Quero, Pedro Diaz, Véronique Pèny et Abigaël Lordon, Do Lessard Art) quant à lui, a fait revivre une friche industrielle par des déclamations poétiques accompagnées d’une flûte, harmonisant ainsi le souffle du vent ou par une chorégraphie de corps adossés à l’immense bâtisse. Une artiste s’est prêtée à une sorte de jeu de pochoir, laissant ainsi une empreinte visuelle sur un bloc de béton abandonné.
À partir de cette recherche création, une vidéo synopsis des deux jours de travail sera réalisé pour témoigner de ce laboratoire citoyen. Les grandes cartes papier ont été transmises à l’Hôtel de Ville. Et pour vous donner envie, de ces deux nuits d’idéation naîtra un nouveau projet : Territoires. On a bien hâte de connaître la suite de cet événement pétillant d’idées !



L’événement s’inscrit dans un cadre plus large, la Nuit des idées. Initiée par l’Institut français, la Nuit des idées invite les lieux de savoir et de culture à célébrer la libre circulation des idées à travers des conférences, des rencontres, des projections et des performances artistiques. Cette année avait pour thème (Re)construire ensemble. Ces deux journées n’auraient pu avoir lieu sans les partenaires suivant : le Consulat général de France à Québec, le Patrimoine canadien, le Centre des arts de la scène Jean-Besré et la Ville de Sherbrooke.

Les acteurs de cette Nuit des idées

  • Le réalisateur (Matthew Gaines) et son équipe
  • L’équipe d’Arrière-scène
  • Les vingt artistes de la région impliqués (Noémie Adsuar, Cyril Assathiany, Ilia Castro, Pedro Diaz, Alice Grondin Segal, Noémie Fortin, Geneviève Kiliko, Natacha Lebrecque, Mélina Lapointe, Emmanuelle Laroche, Élise Legrand, Amélie Lemay Choquette, Do Lessard Art ?, Zoé Hockhoussen, Alberto Quero, Frédéric Gosselin, Sarah Bisha Touchette, Simon Durocher-Gosselin, Kristelle Holliday et Angèle Séguin)
  • La Compagnie KMK avec Véronique Pèny et Abigaël Lordon